Un point final à la conjecture de Poincaré

L’institut Clay célèbre ces jours-ci à Paris, en collaboration avec l’Institut Henri Poincaré, la démonstration de la conjecture de Poincaré, un problème de topologie vieux d’un siècle.

En 2002 et 2003, le mathématicien russe Grigoriy Perelman mettait en ligne sur Internet une série de prépublications qui contenaient notamment la démonstration d’une célèbre conjecture des mathématiques, la « conjecture de Poincaré », énoncée sous forme de question en 1904 par le grand mathématicien français Henri Poincaré.

 

Encore fallait-il s’assurer que la preuve était correcte. Une telle vérification par des pairs compétents peut, lorsqu’une démonstration est très complexe, prendre des mois, voire des années, comme l’avait illustré la preuve par Andrew Wiles du grand théorème de Fermat, en 1994.

Aujourd’hui, on peut considérer la conjecture de Poincaré comme un théorème. Déjà en 2006, les mathématiciens étaient assez convaincus de la qualité des travaux de G. Perelman pour que le Congrès international des mathématiciens lui décerne une médaille Fields, la plus haute distinction en mathématiques. Une médaille que le chercheur russe, personnalité originale et puriste, a refusée.

Le 18 mars 2010, l’Institut Clay annonçaitl’attribution d’un Millenium Prize (prix du millénaire) à G. Perelman pour la résolution de la conjecture, ce qui représente non seulement un honneur, mais aussi une belle somme d’argent : un million de dollars. Cependant, le mathématicien russe n’a pas encore dit s’il acceptait ou non la récompense et, à en juger par sa réaction à la médaille Fields, on peut s’attendre à un refus.

En quoi consiste plus précisément la conjecture de Poincaré, et qu’est donc l’Institut Clay ? Commençons par la première question.

Cette conjecture stipule que toute variété tridimensionnelle compacte, sans bord et simplement connexe est homéomorphe à la sphère tridimensionnelle. Plutôt qu’une longue explication de texte, donnons l’énoncé correspondant avec une dimension de moins, qui est beaucoup plus intuitif : toute surface fermée et ne comportant pas de trou peut être déformée continûment en une surface sphérique ; autrement dit, toute surface fermée et sans trou est, du point de vue topologique, équivalente à la sphère bidimensionnelle (décrite par deux coordonnées indépendantes, par exemple la latitude et la longitude). La conjecture de Poincaré affirme que cette propriété est également vraie en dimension trois, la sphère tridimensionnelle étant, dans l’espace de dimension 4, l’ensemble des points de coordonnées (x1, x2, x3, x4) vérifiant

x12 + x22 + x32 + x42 = 1

(pour une sphère de rayon 1, c’est-à-dire l’ensemble des points situés à une distance 1 du centre), et une variété de dimension trois étant un espace qui peut, localement au moins, être décrit par trois coordonnées indépendantes.

Paradoxalement, le cas de la sphère de dimension trois s’est révélé le plus difficile à résoudre. Le mathématicien américain Stephen Smale a prouvé en 1961 l’analogue de la conjecture de Poincaré pour toute dimension n supérieure ou égale à 5, et, en 1982, l’Américain Michael Freedman parvint à démontrer le cas de la dimension n = 4, par des méthodes assez différentes.

La preuve de la conjecture de Poincaré (en dimension 3) s’est appuyée sur de nombreux développements précédents, dus à plusieurs mathématiciens. La conjecture de géométrisation, élaborée dans les années 1970 par l’Américain William Thurston, y a joué un rôle important ; selon elle, toute variété fermée de dimension 3 se décompose de façon unique en un nombre fini de morceaux, chacun de ces morceaux étant caractérisé par une géométrie parmi huit possibles. Or on peut montrer que si la conjecture de géométrisation est vraie, alors la conjecture de Poincaré l’est aussi. C’est d’ailleurs en prouvant les dernières parties en suspens de la conjecture de géométrisation de Thurston que G. Perelman a réglé le cas de la conjecture de Poincaré.

Pourquoi un « Prix du millénaire » était-il associé à cette prouesse ? En 1999, un mécène américain et son épouse, Landon et Lavinia Clay, ont créé l’Institut Clay pour les mathématiques, dans le but de promouvoir et diffuser le savoir mathématique. En 2000, cet Institut a tenu à Paris une conférence dressant la liste de sept grands problèmes mathématiques à résoudre, à l’image de ce qu’avait fait le mathématicien allemand David Hilbert en 1900, à Paris également, en énonçant 23 grands problèmes qui ont inspiré une bonne partie des recherches mathématiques du XXe siècle. Sauf que Hilbert n’y avait pas attaché de prix en espèces sonnantes et trébuchantes, mais juste l’honneur de l’esprit humain. L’Institut Clay, lui, a promis un « Prix du millénaire » de un million de dollars pour chaque problème résolu. Autres temps, autres mœurs…

La conjecture de Poincaré est le premier des sept problèmes listés par l’Institut Clay a être résolu, une résolution validée après l’examen d’un comité d’experts mis en place par l’Institut et composé de grands mathématiciens : Simon Donaldson, David Gabai, Mikhail Gromov, Terence Tao et Andrew Wiles. Les six autres problèmes mis à prix par l’Institut Clay portent sur la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer, la conjecture de Hodge, les équations de Navier-Stokes en mécanique des fluides, le problème P ou NP relatif à la complexité, l’hypothèse de Riemann et les équations de Yang-Mills en théorie quantique des champs. Des problèmes pour lesquels, selon la boutade d’Andrew Wiles, beaucoup de mathématiciens seraient prêts à débourser un million de dollars afin d’en trouver la solution.

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