Le génome d’Ötzi, le célèbre « homme des glaces », vient d’être entièrement séquencé. Les analyses suggèrent qu’Ötzi appartenait à la première vague de paysans néolithiques méditerranéens, dont les traces génétiques semblent s’être partiellement maintenues en Corse et en Sardaigne.
Ötzi, un lointain cousin des Sardes et des Corses ? La première analyse du génome de cet homme de la fin du néolithique, retrouvé dans un glacier à la frontière italo-autrichienne en 1991, montre qu’il portait des gènes qui se retrouvent aujourd’hui le plus fréquemment au Nord de la Sardaigne et au Sud de la Corse.
Autour d’Albert Zink, de l’Institut pour les momies et l’homme des glaces de Bolzano, en Italie, une équipe internationale, comprenant Jacques Chiaroni, Julie Dicristofaro et Stéphane Mazières de l’Université de Méditerranée, vient d’achever le séquençage du génome d’Ötzi, et a entamé son analyse. Les chercheurs ont d’abord recherché une affinité entre les gènes autosomes d’Ötzi (les gènes issus des chromosomes non sexuels) et ceux de diverses populations contemporaines de la péninsule Arabique, de l’Afrique du Nord et de l’Europe. L’affinité est plus grande avec les gènes autosomes de la population du Sud de l’Europe, notamment avec l’échantillon de gènes italiens ; et parmi ces derniers, elle est maximale avec l’échantillon de gènes sardes. Or les gènes d’une population insulaire sont moins susceptibles d’avoir été brassés au cours des millénaires que ceux d’une population continentale.
Pour vérifier cette interprétation, les chercheurs ont exploité le fait qu’Ötzi est porteur de l’haplogroupe G2a. Cet ensemble de gènes du chromosome Y constitue un marqueur génétique qui serait issu d’une mutation survenue il y a plus de 10 000 ans au Proche-Orient. Il serait ensuite parvenu en Europe avec les premiers paysans néolithiques, qui ont pénétré en Europe par deux voix, l’une danubienne et l’autre méditerranéenne. De fait, la fréquence de l’haplogroupe G2a est maximale dans le Caucase, où les montagnes pourraient avoir favorisé le maintien de populations anciennes, non loin du début de l’axe danubien. Elle est aussi importante en Italie (11 pour cent de la population), pays au centre de la voie méditerranéenne de « néolithisation ».
Les chercheurs ont situé Ötzi dans l’arbre phylogénétique des sous-groupes de l’haplogroupe G et constaté qu’il est porteur du sous-haplogroupe G2a4-L91. Or il s’agit là d’un marqueur génétique rare puisque, d’après les données disponibles, sa fréquence n’excède guère un pour cent en Europe (y compris en Italie et en Sicile). Excepté en Sardaigne du Nord, où elle est de 9 pour cent, et en Corse du Sud, où elle atteint 25 pour cent !
Qu’en conclure ? Les archéologues ont établi que la Corse et la Sardaigne ont été colonisées pour la première fois il y a quelque 8 000 ans par des paysans venus d’Italie. C’est à peu près à cette époque que d’autres paysans créent le plus ancien village néolithique connu en France, à deux pas de l’actuel emplacement de la Gare Saint-Charles à Marseille. En France, ce courant méditerranéen va fusionner avec le courant danubien pour donner il y a 7 200 ans la culture chasséenne. Présente en Suisse, en Italie, dans les îles tyrrhéniennes (Corse et Sardaigne) et dans le Nord de l’Espagne, cette culture est caractérisée par une structuration forte du territoire entre des tribus. Cela n’empêche pas, toutefois, d’intenses échanges économiques au long cours. Les mines d’obsidienne de Sardaigne, par exemple, donnent lieu à une véritable industrie et à un commerce jusque notamment dans tout le Sud de la France.
Vers 3 500 avant notre ère, cependant, le complexe chasséen est remplacé par un pavage d’entités culturelles plus petites, interconnectées par les réseaux de diffusion des premières métallurgies (or et cuivre). De fait, Ötzi a été retrouvé en possession d’une hache de cuivre, typique de la culture du lac de Mondsee, au Nord des Alpes et en Haute Autriche. Pour autant, il est plausible que malgré d’éventuelles migrations, le patrimoine génétique des paysans du lac de Mondsee était encore proche de celui de la première vague de paysans méditerranéens, devenue chasséenne. Sa proximité génétique avec les habitants actuels des îles tyrrhéniennes, où s’est étendue la culture chasséenne, suggère que l’homme des glaces portait un génome typique des premiers paysans méditerranéens d’Europe. Toutefois, le patrimoine génétique de ces premiers paysans méditerranéens a ensuite été brassés avec ceux des populations mésolithiques, des paysans danubiens, puis de tous les peuples venus s’amalgamer en Europe pendant cinq millénaires…
Le même phénomène s’est produit dans une moindre mesure en Corse et en Sardaigne, mais l’isolement relatif de ces îles y aurait conduit à une plus grande conservation des chromosomes Y chasséens. Cela explique peut-être que certains des gènes des chromosomes sexuels d’Ötzi ne sont nulle part aussi fréquents en Europe qu’en Corse ou qu’en Sardaigne.
Soyez le premier à commenter