L’analyse des coraux tahitiens depuis la dernière glaciation suggère qu’il y a environ 14 500 ans, une fonte massive des calottes glaciaires antarctiques a élevé le niveau des océans de 14 mètres en moins de 350 ans.
Cent trente mètres en moins de 15 000 ans : le niveau des mers est beaucoup remonté depuis le dernier maximum glaciaire. Petit à petit ou par sauts ? Après avoir foré à Tahiti, Pierre Deschamps et ses collègues du CEREGE (Université d’Aix-Marseille) et des Universités d’Oxford et de Tokyo ont établi une nouvelle courbe des variations du niveau marin depuis la dernière glaciation : elle confirme qu’une remontée catastrophique du niveau des océans a bien eu lieu il y a 14 500 ans.
Cet événement est noté MWP-1A (de l’anglais Melt Water Pulse). Pour le reconstituer, les chercheurs ont effectué 37 forages dans le récif de Tahiti. Les coraux tropicaux vivant à faible profondeur, ils constituent en effet d’excellents indicateurs de l’évolution au fil du temps du niveau de la surface de l’océan. P.Deschamps et ses collègues ont daté ces coraux en s’appuyant sur la transformation radioactive de l’uranium 234 en thorium 230, et montré qu’entre 14 650 et 14 400 ans, une gigantesque débâcle glaciaire s’est déclenchée, qui a fait monter le niveau des océans de 14 à 18 mètres en moins de 350 ans, soit au minimum 4 mètres par siècle !
Auparavant, deux scénarios concouraient pour placer le MWP-1A dans l’histoire du climat. Le premier découle d’une reconstitution des niveaux marins obtenue à partir des coraux de la Barbade, dans les Caraïbes. Ces données suggéraient d’une part que la débâcle s’était déclenchée plus de cinq siècles plus tard, il y a 14 000 ans ; d’autre part qu’elle était surtout due à la fonte des calottes de l’hémisphère Nord, et tout particulièrement de celle qui recouvrait le Nord de l’Amérique. Mais ce scénario a des faiblesses : les modèles géophysiques indiquent par exemple que la fonte de la calotte nord-américaine modifierait assez le champ gravitationnel terrestre pour que la montée des eaux soit inférieure de 40 pour cent à la Barbade. Or les forages de Tahiti montrent le contraire : la montée des eaux pendant le MWP-1A est comparable autour des deux îles. Cela renforce le second scénario, selon lequel les calottes antarctiques ont contribué au moins autant que la calotte nord-américaine à la débâcle du MWP-1A.
Or la nouvelle datation de cet événement à 14 650 ans le fait coïncider avec le Bølling, un épisode de réchauffement rapide de l’hémisphère Nord. En revanche, dans la reconstitution des niveaux marins successifs réalisée à la Barbade, le Bølling précède le déclenchement du MWP-1A. Si la nouvelle datation est la bonne, seule une réorganisation de la circulation thermohaline (dont le Gulf stream est un exemple) expliquerait le réchauffement dans l’hémisphère Nord, puis la fonte des calottes nordiques. Cette hypothèse ne sera cependant confirmée que le jour où les preuves géologiques de la contribution de l’Antarctique au MWP-1A auront été obtenues sur le continent blanc, ce qui n’est pas encore le cas.
Seule chose sûre : les calottes de glace ne réagissent pas de façon linéaire aux changement climatiques. La remontée du niveau marin n’est donc pas proportionnelle à l’élévation de la température moyenne à la surface de la Terre. L’histoire récrite du MWP-1A illustre au contraire l’existence de puissants effets de seuil. Alors que l’activité humaine fait grimper sensiblement la température moyenne de l’atmosphère, il faudrait donc se méfier de possibles débâcles à venir.
En haut, les variations du température déduites de la mesure du rapport isotopique de l’oxygène 18 dans les glaces du Nord du Groenland. En bas, les courbes de variations du niveau marin déduites des enregistrements de la Barbade et de Tahiti. On voit que la période chaude dite du Bølling enregistrée dans les glaces coïncide avec la remontée rapide du niveau des mers, le MWP-1A, dont les coraux de Tahiti ont gardé la marque.
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