Les papillons monarques migrent depuis les Grands lacs américains jusqu’au Mexique. Mais quels individus effectuent le voyage retour ? L’étude de leurs ailes apporte la réponse.
Après avoir passé l’hiver au Mexique, les papillons monarques (Danaus plexippus) remontent vers la région des Grands lacs, en Amérique du Nord. Mais quels individus ? Ceux qui ont quitté le Nord pour le Mexique l’année précédente et qui accomplissent ainsi un cycle complet de migration, ou la nouvelle génération née des œufs pondus sur le chemin vers le Nord, dans les États du Sud et du centre des États-Unis ? Pour répondre à cette question, Ryan Norris et ses collègues, de l’Université de Guelph au Canada, ont étudié les populations de papillons monarques qui rejoignent les Grands lacs.
À l’approche de l’automne, les papillons monarques quittent le Canada et le Nord des États-Unis pour rejoindre le Mexique. Ils sont des millions à parcourir les quelque 3 000 kilomètres, progressant en moyenne de 50 kilomètres par jour. Arrivés au Mexique, ils passent l’hiver en diapause – avec un métabolisme ralenti – dans des oyamels (des conifères), à plus de 2 400 mètres d’altitude, jusqu’à l’arrivée des beaux jours. Ils repartent alors vers le Nord en passant par les États américains bordant le golfe du Mexique, puis par le centre du continent avant d’atteindre les Grands lacs.
Durant cette phase de migration, les papillons se reproduisent et les femelles pondent des œufs sur les asclépiades, une espèce végétale qui sert de nourriture exclusive aux chenilles de monarques. Ces dernières mettent un mois avant de parvenir au stade de papillon, pour s’envoler à leur tour vers les Grands lacs. Il y a donc deux populations distinctes qui recolonisent le Nord, les papillons de l’année précédente, qui ont effectué un cycle migratoire complet, et les papillons nés durant l’année en cours, pendant le retour. R. Norris et ses collègues ont étudié la proportion de chaque groupe près des Grands lacs.
Confrontées aux aléas du climat et d’un long voyage, les ailes des papillons s’usent. Les écailles s’arrachent sans être remplacées et les bords des ailes se déchirent. Ainsi, en fonction de l’état des ailes, il est possible de savoir si le papillon a quelques mois ou s’il est âgé de plus de sept mois. Les plus vieux ont parcouru un cycle complet de migration soit près de 6 000 kilomètres : leurs ailes sont très abîmées. Les observations montrent qu’environ dix pour cent des papillons sont nés l’année précédente. Les autres sont nés au cours de la migration en revenant du Mexique.
Pour déterminer l’origine exacte des papillons nés pendant la migration, les entomologistes ont mesuré la teneur en deutérium (un isotope de l’hydrogène) de leurs ailes. Ce taux dépend de la teneur en deutérium de l’environnement de naissance du papillon. Or le taux de deutérium présent dans la nature suit un gradient régulier sur le continent nord-américain, avec une forte concentration dans les États du Sud-Est et des régions pauvres en deutérium dans le Nord-Ouest. La température et l’évaporation sont à l’origine de ce fractionnement isotopique naturel : les molécules d’eau contenant un atome de deutérium s’évaporent moins que de l’eau normale. En conséquence, les régions chaudes sont plus riches en deutérium. En utilisant cette répartition, il est possible de déterminer la région d’où vient un papillon en fonction du taux de deutérium présent dans ses ailes. Les analyses montrent que la majorité des papillons nés pendant la migration viennent de la région centrale des États-Unis et non des zones proches du Golfe du Mexique comme on le pensait.
Quel intérêt les papillons de l’année précédente ont-ils à tenter d’effectuer le cycle complet pour retourner vers les Grands lacs ? Selon les chercheurs, cet effort leur permettrait d’arriver un mois avant la nouvelle génération de papillons, ce qui augmenterait leurs chances de se reproduire et de pondre leurs œufs sur des asclépiades non occupées.
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