Le plus ancien village de paysans de Chypre connu à ce jour n’a été construit que 500 ans après les débuts de l’agriculture au Proche-Orient
Vers 9 500 ans avant notre ère, au Néolithique précéramique A, des chasseurs-cueilleurs s’essaient aux premières cultures de plantes sauvages au Proche-Orient. Or voilà que l’archéozoologue Jean-Denis Vigne, du CNRS, et son équipe d’archéologues viennent de constater qu’ils n’ont eu besoin que de quelques siècles pour transporter ce mode de vie prénéolithique à Chypre.
Les chercheurs ont en effet découvert sur l’île méditerranéenne un village d’agriculteurs datant de presque 9 000 ans avant notre ère, donc de la période dite du Néolithique précéramique B. Nommé Klimonas, ce village prouve la présence à Chypre de premières sociétés agricoles quelque 1 000 ans plus tôt que ce que l’on pensait et 1 500 ans avant que ne se stabilise le mode de vie paysan (mode de vie, qui, outre la sédentarité, suppose la poterie, la culture céréalière et l’élevage de chèvres, de moutons et de vaches).
Les restes de Klimonas comprennent les traces d’un bâtiment semi-enterré en terre crue de 10 mètres de diamètre, qui était sans doute entouré des bâtiments domestiques. Les chercheurs supputent qu’il servait à rassembler les récoltes. Ils ont retrouvé des restes de plantes locales (indice de cueillette) et des graines carbonisées d’amidonnier, un blé sauvage qui deviendra la première céréale domestiquée. Les archéologues ont aussi constaté que les premiers paysans chypriotes étaient accompagnés de chats. Ces animaux domestiques avaient l’avantage essentiel de réduire la population de rongeurs, inévitablement attirés par les réserves de grain, mais ils étaient aussi mangés. Par ailleurs, le grand bâtiment était manifestement un endroit où l’on enterrait des offrandes – flèches en silex, perles de pierre verte… – pour voir se réaliser des vœux. De nombreux objets, tels des éclats de silex, des outils lithiques ou des parures de coquillages, ont aussi été mis au jour. Tous ces indices évoquent une vie villageoise similaire à celle, bien connue, des premiers villages néolithiques levantins.
Comme leurs cousins du Levant, les premiers cultivateurs chypriotes étaient aussi restés des chasseurs, ce qui explique qu’ils aient aussi introduit à Chypre le chien. Ils chassaient le seul grand gibier présent sur l’île, un petit sanglier indigène, sans doute de taille comparable à celle du sanglier corse.
Ainsi, les chasseurs-cueilleurs-agriculteurs de Klimonas mettaient à profit toutes les ressources de l’accueillante terre chypriote. Exploitaient-ils aussi les ressources marines de ses côtes ? Rien ne l’indique à ce stade, mais il paraît vraisemblable que les premiers paysans de Chypre étaient issus des communautés paysannes côtières du continent, qui pratiquaient une navigation rudimentaire. Pourquoi sont-ils venus sur l’île ? Difficile à dire exactement, mais, puisqu’elles pratiquaient la navigation, les communautés côtières ont dû être attirées par les territoires vierges de Chypre.
Comment ont-elles traversé la haute mer pour les atteindre ? Par une dangereuse extension du cabotage en pirogues faites de troncs évidés que les habitants de la côte levantine pratiquaient sans doute ? Ou par une navigation à la voile, plus élaborée et supposant l’existence de spécialistes de la haute mer, bref de marins ? Il serait passionnant de découvrir un indice sous la forme de restes techniques de cette première culture de marins méditerranéens.
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